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Je ne veux plus dormir à la maison - photographie 5

mercredi 13 juillet 2005, par Sylvian Bruchon


- Aidez-moi, s’il vous plaît.

- Vous êtes toujours vivant ?

- Je dormais. Je rêvais. Aidez-moi à sortir. Je ne peux pas bouger. Je n’y arrive pas. Je dormais c’est pour ça. Parce que je dormais, je crois. J’ai mal. Je me suis arraché la peau. Je saigne. Je crois que je me suis cassé quelque chose. Aidez-moi. Je vous en supplie. Ne m’abandonnez pas. Les enfants vont venir. Ne me laissez pas à portée des enfants. Ca va être l’heure des enfants. Les enfants vont passer.

- Ne dites pas de bêtises.

- Je les connais. Je les entends déjà. Les enfants vont venir en courant quand ils sortiront de l’école. Sortez-moi de là avant la sortie des enfants.

- Je ne sais pas. Je vais aller chercher de l’aide, prévenir les secours, les pompiers, la police. C’est du ressort de la police.

- Non s’il vous plaît. Aidez-moi. Je ne vais pas tenir. Je n’ai pas de position. Je ne sais pas comment me tenir. Les morceaux de la maison me rentrent dans le corps. Elle pèse sur moi. Je voudrais me tourner un peu, changer de place mais je ne peux pas. Ma maison me fait mal.

- Je ne sais pas si j’ai le droit de vous toucher, de déplacer ne serait-ce qu’une pierre de cette maison. Il faudrait que je demande l’autorisation. Ca peut prendre du temps

- J’étouffe ! Je suffoque ! Je n’ai pas d’air !

- Mais non, calmez-vous !

- J’étouffe, je vous dis ! Ce n’est pas le manque d’air. Je suis oppressé. J’ai peur de mourir étouffé là-dedans. Ca va être long. Je sens venir une telle angoisse. Il faut m’aider à sortir d’ici. Vous seul que je ne connais pas, vous le passant, l’anonyme qui a eu pitié, qui s’est arrêté, personne ne s’est arrêté avant vous, retourné, j’en ai appelé d’autres mais aucun ne s’est arrêté, retourné, ne m’a entendu même, a fait semblant de ne pas entendre, a précipité le pas, presque couru.

- Vous dites que vous suffoquez, que vous allez mourir, là, si je ne vous aide pas. Mais comment je peux tendre la main à un homme comme vous ?

- Vous vous trompez. Non, ne pensez pas ça. Ce n’est pas ça. Ca n’a rien à voir avec vous, avec moi, avec nous. Je ne comprends pas moi-même. C’est idiot d’être comme ça, là, devant vous dans cette position inconfortable. Je ne peux pas me tourner. Je n’ai pas la place de me tourner. Restez avec moi. Ne me quittez pas.

- C’est votre maison, le mur et le toit de votre maison. Vous savez ce qui vous est arrivé ?

- La maison s’est écroulée.

- Oui, on a écroulé votre maison sur vous. Vous ne devriez pas être vivant. Vous devriez être mort, normalement. C’est comme que ça se passe d’habitude. Du moins, je crois. Quand on écroule une maison sur quelqu’un, il meurt. Ils vont peut-être vous laisser la vie sauve. Qui sait ? Comme pour les pendaisons. On dit que si la corde casse, le condamné est gracié.

- Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Qu’est-ce qui justifie une telle panique, une terreur telle que je suis sous ma maison trop lourde. Si on y regarde de plus près, on peut constater que c’était impossible que je survive à la chute de cette maison où j’ai toujours vécu, la maison de mes parents. C’était impossible et j’y suis encore. Il faut me sortir de là. Tirez-moi de là. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Je ne me souviens plus. Pourquoi a-t-on fait écrouler ma maison sur moi ?

2 Messages de forum

  • Aidez-moi ! (1)

    21 juillet 2005 13:41, par Erwan Tanguy


    - Parlez plus fort

    - Je suis ... au maximum

    - Comment puis-je vous aider si vous n’arrivez même pas à parler plus fort, si vous cherchez des excuses à chacune de mes remarques

    - Je ... ne cherche pas d’excuse ... la situation est simple ...

    - Alors vous n’avez pas besoin d’aide

    - Mes bras ... sans eux je ne peux rien ... faire ...

    - Quelle pitié. Ne me faites pas la victime, j’en ai assez vu à la télévision, dans les journeaux, j’ai déjà donné de l’argent aux ONG et aux associations, et, croyez-moi, vous ne souffrez pas assez pour espérer obtenir une couverture médiatique

    - Souffrir ... mais je ne sens plus rien, ni ... mes bras, ni mes pieds ne me répondent ... je n’ai que ma tête ...

    - Servez-vous en puisque vous n’avez qu’elle, et si vous ne sentez rien, c’est que tout va bien, si vos membres ne bougent pas, c’est qu’ils n’ont aucune raison de le faire

    - Mais ... il suffirait de pas grand chose ... D’enlever ici et là ... quelques poids ... morceaux de bétons ... de pierres pour que je puisse ... respirer ... un peu mieux ...

    - Et de fil en aiguille, vous exigerez toujours plus de confort. Mais cela n’a aucun sens, croyez-moi, je suis bien placé pour le savoir, le confort ne rassure en rien, vos crises existentielles en seraient même plus aigües, réflechissez-y. Evidemment, vous pourrez toujours dire qu’il est aisé à ma place de vous en rappeler les limites, alors que vous, loin du monde moderne et pédant dont je suis un représentant

    - Vous ne donc pas ... si je reste là encore, je risque ... de mourir. Je ne vous demande ... pas ... je ne rêve pas de votre monde ... je veux juste vivre ...

    - Vous êtes un terroriste, c’est ça. VOus voulez vivre contre nous. Je préfère vous laisser là, vous n’aurez pas de minutes de silence, elles sont au-dessus de vos moyens. Vous n’existez pas, vous disparaissez.

  • Aidez-moi ! (2)

    21 juillet 2005 19:00, par Erwan Tanguy


    - AIdez-moi ! ... Appelez au moins un médecin !

    - Non

    - Un infirmier !

    - Non

    - Un secouriste !

    - Non

    - Un voisin !

    - Non

    - Vous allez rester là ... me regarder mourir sans ... rien faire ...

    - Oui, parce que vous ne mourrez pas. Je veux voir pendant combien de temps vous allez tenir. Vous me rappelez les pauvres types qui, l’été, font les statues égyptiennes pour se faire un peu d’argent avec les touristes. Souvent, il ne faut pas attendre longtemps pour les voir bouger. J’attends que vous vous releviez, que votre artifice, votre mensonge, cesse.

    - Je ne mourrai pas seul

    - Vous n’allez pas mourir. Cessez d’être framatique comme ça, vous allez bien finir - finir votre spectacle. Si je suis convaincu - et il m’arrive encore parfois de l’être - si je suis convaincu, je vous applaudirai.

    - Comment une mort ne ... peut-elle pas convaincre ?

    - Certains films parfois - les morts sont trop jouées généralement. Pour tirer quelques larmes sans doute.

    - Mais nous ne sommes pas au ... cinéma

    - Les morts au théâtre ne sont pas plus réalistes. Vous me direz que le théâtre n’est pas l’espace approprié au réalisme mais

    - Quel théâtre ? ... Où voyez-vous un théâtre ?

    - Vous et ce décor écroulé, de maison écroulée

    - Cela ne suffit pas à faire théâtre

    - Moi qui regarde, si tout y est


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